Wagons réservés aux femmes : la pétition qui bouscule le modèle des transports franciliens

  Face à la montée des violences sexistes dans les transports, une initiative citoyenne relance le débat sur la non-mixité dans les rames d’Île-de-France. Entre mesure d’urgence et symbole d’un échec collectif, la proposition divise autant qu’elle interpelle.

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Un simple clic sur une plateforme citoyenne aura suffi à relancer un débat sensible en Île-de-France. La pétition réclame l’instauration de rames réservées aux femmes et aux enfants dans les transports en commun, à l’image de dispositifs déjà en place au Japon, en Inde ou encore à Dubaï.

À l’origine de cette initiative, un sentiment d’urgence après une nouvelle tentative de viol, en plein jour, dans une rame du RER C. Un crime de plus dans un climat où la peur du harcèlement et des agressions reste ancrée chez de nombreuses usagères. En quelques jours, plus de 13 500 signatures ont été recueillies — preuve que le sujet touche une corde profonde.

Pour Camille, étudiante parisienne, le constat est sans appel : « Quand je suis seule dans une rame avec des hommes, je suis en hyper-vigilance. Je baisse la musique, je regarde partout, je surveille. » Une réalité quotidienne que partagent beaucoup de femmes, au point de repenser leurs horaires, leurs itinéraires et même leur façon de s’asseoir ou de s’habiller pour prendre les transports.


« C’est une mesure triste, mais peut-être inévitable », poursuit-elle. « On réfléchira moins avant de prendre le RER. On a déjà un énorme retard sur ces questions. » Une phrase qui dit tout d’un malaise social : en France, la liberté de circuler reste, pour beaucoup, une liberté conditionnée.

La France est confrontée à un tabou : la ségrégation des sexes dans les transports publics

L’idée de séparer les sexes dans un transport public reste explosive dans le contexte français. République, égalité, espace public commun… le principe de mixité est historiquement associé à l’émancipation et à la cohésion nationale.

Pour certains, ce projet ressemble à un recul social : instaurer des wagons réservés reviendrait à entériner l’idée qu’une femme n’est jamais en sécurité aux côtés des hommes. « On ne devrait pas segmenter l’espace public, mais sanctionner les comportements violents », martèlent de nombreuses militantes féministes.

À l’autre extrémité du débat, d’autres militantes et usagères en arrivent à voir dans cette mesure une protection temporaire, presque une urgence sanitaire. Comme Sarah, qui invoque l’exemple du Brésil : « Là-bas, ce n’était pas si compliqué. Un simple wagon coloré différemment, une affiche, et ça fonctionnait. »

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Pour ces femmes, il ne s’agit pas d’un idéal, mais d’un pis-aller dans un système qui peine encore à endiguer les violences sexistes.

Des chiffres qui parlent : le quotidien alarmant des usagères

Les chiffres le confirment : en 2024, sept femmes sur dix affirmaient avoir déjà subi une agression dans les transports franciliens. Le terme « agression » englobe un spectre large : insultes, gestes intrusifs, exhibitionnisme, harcèlement verbal ou physique, voire violences sexuelles.

Ces statistiques ne disent pas tout : elles traduisent aussi un climat, un vécu, un quotidien fait de micro-adaptations permanentes. Rejoindre ses amis en soirée, rentrer du travail tard, traverser un quai vide, s’asseoir près d’autres femmes par instinct… la mobilité féminine se pense rarement à armes égales.

Le précédent international : efficacité ou cache-misère ?

Le Japon, souvent cité en exemple, a introduit des wagons réservés aux femmes dans les années 2000, principalement aux heures de pointe. L’initiative a permis de réduire une partie des agressions, notamment les attouchements, phénomène tristement courant dans les métros bondés de Tokyo.

En Inde, le métro de Delhi propose aussi des wagons non mixtes, dans un contexte où les violences de genre atteignent un niveau dramatique. En Amérique latine, plusieurs métropoles ont adopté la même mesure. Résultat : des bénéfices immédiats… mais parfois, selon les associations locales, un relâchement global de la prévention dans le reste du réseau.

En d’autres termes : séparer peut protéger, mais ne résout pas la racine du mal. Dans plusieurs pays, le dispositif a même été critiqué comme une manière de déplacer le problème plutôt que de le combattre.

Une question de culture publique

La France, pays du principe d’égalité et de la mixité scolaire obligatoire depuis les années 1970, se retrouve confrontée à une contradiction : comment concilier protection immédiate et projet de société égalitaire ?

Pour certains sociologues, l’enjeu dépasse la seule sécurité : il touche à la capacité de la République à tenir sa promesse universelle.

« La non-mixité subie est un échec collectif », résume une spécialiste de la mobilité urbaine. « La non-mixité choisie peut être un outil temporaire, mais elle ne peut devenir la norme. »

Transports franciliens : une situation explosive

Île-de-France Mobilités a rapidement réagi : « Ce projet n’est pas prévu à ce jour », a précisé l’autorité régionale. Une manière de calmer les débats… sans les éteindre.

Car le contexte local est tendu : densité de population unique en Europe, retards structurels sur la modernisation du réseau, multiplication des plaintes pour agressions, montée du sentiment d’insécurité. Et une nouvelle donne : des femmes de plus en plus déterminées à faire entendre leurs exigences.

De nombreuses initiatives ont déjà vu le jour : brigades dédiées dans les gares, campagnes de sensibilisation, numéros d’alerte, formation du personnel à la prise en charge des victimes. Des progrès notables, mais jugés insuffisants face à la montée des violences.

Vers quelle société voulons-nous aller ?

La question posée par cette pétition dépasse le cadre francilien : que signifie circuler librement dans un espace public ? À quel point notre société est-elle prête à transformer son organisation pour garantir la sécurité des femmes ? Et surtout : qui doit s’adapter — les victimes, ou les agresseurs ?

Pour certaines femmes, ce débat marque une rupture : « On n’en peut plus des discours. On veut des mesures immédiates. » D’autres craignent une pente glissante vers une segmentation durable de la société. Toutes s’accordent pourtant sur une chose : l’urgence à agir.

Un débat nécessaire, mais pas suffisant

Cette pétition n’est peut-être qu’un signal d’alarme mais un signal puissant. Elle révèle une lassitude, une impatience, voire une colère face à un sentiment d’insécurité devenu structurel. Elle rappelle aussi que le droit à la mobilité pourtant fondamental dans une métropole moderne reste profondément genré.

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L’idée de wagons réservés peut choquer, rassurer, diviser. Elle peut être vue comme une mesure transitoire ou comme un aveu d’échec. Mais elle contraint la société française à regarder en face ce qu’elle peine encore à admettre : la mixité ne se décrète pas, elle se protège.

Reste à savoir si la réponse sera architecturale, policière, éducative… ou un mélange des trois. Car au-delà de la pétition, c’est une question fondamentale qui s’impose : dans un espace public démocratique, la liberté de circuler ne devrait pas être une bataille quotidienne — encore moins une affaire de genre.

 


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